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systemique
9 février 2006

petit hommage à Amilcar

COMME SI ON DANSAIT LE TANGO
LL18 - Tango -

Amilcar Ciola

/ © Fondation Ling, Lausanne, septembre 1998

Qui a proposé ces images-idées à Marcelo Ceberio, qui les écoutées et appréciées, les a commentées et a construit lui-même quelques autres... et c’est comme ça que ce tango fut dansé.

Quand on danse le tango... on écoute la musique et on attend. Au premier, au deuxième, peut-être au troisième ou au quatrième temps, le couple commence à danser seulement quand les deux sont en accord avec la musique.

Ils marchent ensemble, l’un avance, l’autre recule. Ils tournent. Celui qui reculait, maintenant avance, et celui qui avançait recule.

Avancer, reculer, tourner ensemble et en accord : c’est un système ordonné.

Quand on danse le tango avec d’autres couples en même temps et dans la même salle, la distance et la proximité se devinent par intuition, se sentent. Il ne faut surtout pas faire de compétition pour le même espace, c’est-à-dire ne pas se bousculer. Freiner comme si on ne freinait pas, avec élégance. Attendre que l’autre couple se déplace pour se déplacer ensuite.

Freiner, se déplacer, tourner. Tout fait partie d’un (inter)jeu relationnel organisé, complémentaire, harmonieux, un système complet.

Telle une piste de danse, le scénario de la thérapie familiale se déroule dans les mêmes termes. Une magnifique chorégraphie qui naît et nous implique dès le premier contact.

Les membres de la famille arrivent, prennent place, explorent de différentes manières le lieu où la scène se joue. Ils se regardent et observent le thérapeute, dans certains cas la douleur et l’angoisse ne permettent pas cette liberté d’observation.

On entame la danse, comme sur une piste de danse : commence le jeu des regards scrutateurs, interrogatifs, séducteurs et complices, d’invitation, de rejet ou d’acceptation.

Le silence du début cède le pas au langage des gestes, tandis que la musique des mots commence à résonner.

Quelqu’un prend l’initiative. La personne la plus concernée... ou pas. Cette mère anxieuse qui a demandé l’entretien. Un père qui donne sa version des faits avec circonspection. Le frère plus distant, qui nous semblait être plus à l’écart. La sœur, sensible et émotive, devant qui le thérapeute se demande : où ai-je donc mis les mouchoirs en papier?

Dans cette salle de danse se trouvent aussi les autres couples. Ceux qui représentent les familles élargies et créées, les voisins, les amis, les amants, les autres professionnels qui sont intervenus dans les moments critiques de cette situation. Les bons et les méchants. Accompagnants et persécuteurs. Les solidaires et disqualifiés. Combien de contextes interviennent dans ce réseau social? Combien de couples pour cette même salle?

Il y a des tangos différents : certains "canyenges" avec des coupures et cassures, crochets, en huit et assise. Les autres aristocrates, bourgeois, des tangos de salon aseptisés. Tous porteurs de croyances et de valeurs distinctes.

Quel est le tango que danse la famille? Le thérapeute observe, écoute, essaie de comprendre l’univers de significations attribué, au cœur de la turbulence, au problème familial; se rapproche curieux, naïf, tente de danser en accord avec le contexte auquel appartient la famille.

Il essaie de danser avec chaque membre. Il danse avec tous. Fait en sorte qu’ils dansent entre eux.

Mais le tango peut se danser seulement si un lien s’établit, si se produit cet amalgame d’interactions complémentaires et systématiques entre le thérapeute et la famille, sinon le tango n’est plus le tango; il devient une grossière imitation.

Les interactions sont modifiées par les interventions, en même temps que celles-ci surgissent des interactions. Ainsi en forme rétroactive apparaît : l’harmonie.

Décrivons l’un des tangos : un thérapeute provoque et confronte; voici qu’une mère s’énerve. Sa fille la soutient par son sourire. Cette fille d’habitude si éloignée...

Le fils observe cette action de façon désintéressée, cherche la complicité d’un autre membre mais se retrouve seul sur la piste. Ils ont tous trouvé des partenaires. Il devrait changer son style de communication, sous peine de se retrouver seul et abandonné dans ce nouveau jeu relationnel.

Plus tard, le thérapeute observe le père qui regarde par terre tristement, il s’assied à ses côtés et invite le fils à s’approcher. Il s’exécute, réticent, prend timidement le bras de son père qui, surpris, se redresse sur la chaise.

Le thérapeute connote positivement ces attitudes qui redéfinissent le lien. Son équipe derrière le miroir lui enjoint de prendre un peu de distance, tous le trouvent trop impliqué.

Se déplacer, avancer, retourner, freiner, tourner ensemble, occuper d’autres espaces, danser un nouveau tango.

Loin de cette piste, loin de cette danse, au-delà de ce contexte thérapeutique, d’autres modèles de connaissance et leurs actions conséquentes donnent naissance à d’autres contextes d’appartenance qui réciproquement s’influencent. Cette danse de contexte, rarement ressemble à tango, fréquemment paraît une lutte désespérée pour conquérir des territoires, des espaces et des significations.

Il est des médecins qui - résolument biologistes - dénient les facteurs psychiques de la maladie de leurs patients; il en est d’autres - résolument psychodynamiciens - qui dénient les facteurs biologiques; il en est d’autres qui concentrent leurs regards sur l’individu, déniant l’environnement. Il y a aussi ceux qui utilisent la méthode analytique dans leurs investigations, en supposant que la somme des parties donnera comme résultat un tout, isolant le phénomène pour tenter de le comprendre.

De cette façon, on continue de construire des compartiments étanches. On dirait qu’il nous est insupportable d’accepter que l’insécurité conditionne l’incertitude, qu’il nous est difficile de renoncer à l’objectivité et d’admettre qu’il n’existe pas de réalité présupposée. Pour danser le tango de la thérapie, il faut suivre la musique, respecter les autres couples et être prêt à partager leur espace. La danse des relations humaines peut refléter, en certaines occasions, une esthétique délicate et en constante évolution, en d’autres occasions, un aspect grossier, même maladroit, prolixe et en constant homéodynamisme.

Le thérapeute entre dans la danse, introduit de nouvelles informations, génère des différences, propose de nouveaux pas, met en scène de nouvelles figures qui deviennent d’autres narrations. Mais surtout, il laisse la place à la passion, tel un sentiment permettant à l’émotion de surgir, cette émotion transmise par les gestes et qui revêt les mots d’une certaine emphase.

Se déplacer, avancer, retourner, freiner, tourner ensemble, occuper d’autres espaces, danser un nouveau tango, comme pendant la thérapie, comme dans la vie.

Le docteur

Amilcar Ciola

est médecin spécialiste en psychiatrie, psychothérapeute et enseignant, collaborateur au CEF, au CERFASY, à l’Association Appartenances, enseignant à l’IMPER, Président de l'Association suisse de thérapie familiale.

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  • systemique. thérapie familiale. contributions. archives personnelles. Les textes présentés sont extraits de mes lectures sur Internet. Ils sont à usage privé. Dans la mesure du possible, je mets les liens des sites originaux. Commentaires bienvenus.
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